La participation au cœur des pratiques d’insertion : enjeux, dynamiques et leviers
Vers une culture participative dans l’insertion socioprofessionnelle ?
Dans un contexte où l’exclusion du marché de l’emploi touche durablement certaines franges de la population, les politiques d’insertion se trouvent confrontées à un défi majeur : comment associer réellement les personnes concernées aux dispositifs censés les soutenir ? C’est à cette question qu’a voulu répondre une étude qualitative conduite en partenariat entre un chercheur indépendant et le Groupe de travail Partic’ISP, dans le cadre des activités de l’ASBL CALIF – Coordination d’associations liégeoises d’insertion et de formation en Belgique.
Cette coordination regroupe environ 70 structures membres, actives dans le champ de l’insertion par l’économique et la formation (CISP, ILI, CFISPA, etc.). Elle s’inscrit dans un cadre institutionnel balisé par le décret wallon du 20 octobre 2016, qui définit les conditions d’agrément et de subventionnement des initiatives d’économie sociale et des entreprises d’insertion. Ces structures ont pour mission de favoriser l’accès à l’emploi pour des publics éloignés du marché du travail, à travers une logique d’accompagnement renforcé, articulée autour de l’activité économique.
Mais au-delà des objectifs fixés par les politiques publiques, une interrogation demeure centrale : quelle place est réellement accordée aux bénéficiaires dans la co-construction des parcours d’insertion ?
Une recherche centrée sur les représentations des professionnels
Afin de mieux comprendre la manière dont la participation est pensée, pratiquée et parfois empêchée, une série de trois focus groups a été organisée entre mars et juin 2024. Ces entretiens collectifs, réunissant agents d’insertion, formateurs, coordinateurs et directeurs de structures membres de CALIF, ont permis d’explorer les représentations, les freins et les leviers associés à la participation dans les pratiques professionnelles.
L’approche méthodologique, fondée sur les principes de l’analyse qualitative (Paillé &Mucchielli, 2021), combinait une co-animation avec des membres du groupe de travail et une analyse thématique rigoureuse (Saldaña, 2016). Des extraits de verbatim ont été sélectionnés pour leur capacité à illustrer les dynamiques saillantes. Les grilles d’analyse ont été informées par des travaux théoriques majeurs sur l’interaction (Goffman, 1974) et la participation (Charles, 2016 ; La Paglia, 2024).
La participation : un concept pluriel et situé
Loin d’être une réalité uniforme, la participation revêt des formes multiples, selon les contextes et les rapports sociaux en jeu. L’analyse a permis de distinguer plusieurs niveaux d’implication :
· Professionnels ↔ bénéficiaires
· Professionnels ↔ professionnels
· Professionnels ↔ partenaires extérieurs
· Bénéficiaires ↔ bénéficiaires
À ces relations s’ajoutent des finalités variées : participation à la gouvernance, à l’évaluation, à la création collective, à des temps conviviaux ou festifs, à des dynamiques de self-help ou d’apprentissage par les pairs.
La participation n’est donc pas un état, mais un processus structuré par un cadre ayant des obligations et des attentes (Goffman, 1974) qui façonnent le contenu d’une activité, mais aussi les discours et les comportements des individus qui s’y engagent (Berger & Charles, 2014), soulignant le fait qu’ils s’impliquent personnellement en vue se de coordonner avec autrui en vue d’atteindre un objectif commun (Charles, 2016).
Les freins à l’implication des publics
Les témoignages recueillis soulignent que la parole en public constitue un obstacle important. Le manque d’habitude à exprimer son vécu ou ses idées dans un espace collectif peut inhiber certains bénéficiaires, particulièrement ceux qui ont été socialisés dans des environnements où la parole n’était pas valorisée :
"Y a même une méfiance par rapport au fait de se retrouver ensemble dans un groupe, de pouvoir donner son avis." (Adèle)
À cela s’ajoute la méfiance vis-à-vis des institutions, notamment chez les personnes ayant vécu des expériences négatives avec des dispositifs perçus comme normatifs ou intrusifs :
"Un public qui est fragilisé, ou qui a eu des expériences pas forcément positives avec les administrations, c’est assez bloquant pour eux." (Constance)
Les contraintes structurelles (temps, financements, pressions gestionnaires) pèsent également sur la capacité des structures à mettre en place des dispositifs réellement participatifs, durables et co-construits.
Ce qui fonctionne : les leviers de l’engagement
Malgré ces freins, plusieurs leviers apparaissent dans les discours des professionnels :
· La valorisation des compétences des usagers : reconnaître leur savoir d’expérience et leur rôle actif renforce leur pouvoir d’agir.
"L’attente principale de la participation, c’est surtout le développement du pouvoir d’agir." (Jennifer)
· L’utilité concrète et l’accessibilité des activités : transmettre des informations utiles, ouvrir des portes vers des services ou des loisirs renforce le sentiment d’utilité sociale.
"L’idée, c’est qu’ils repartent avec quelque chose, une info ou un outil." (Hélène)
· Le plaisir et le lien social : les espaces conviviaux sont souvent des déclencheurs pour l’engagement. (La Paglia, 2024)
"Un accès à la culture ou au sport, et qu’ils puissent y trouver un certain plaisir." (Marjorie)
· Une posture professionnelle bienveillante : l’implication des bénéficiaires dépend aussi de la manière dont ils sont accueillis, écoutés, sollicités.
Conclusion : pour une culture de la participation
Cette recherche confirme que la participation ne se décrète pas, mais qu’elle se construit progressivement, dans la reconnaissance mutuelle, la confiance et le respect des rythmes de chacun. Pour être effective, elle nécessite des espaces adaptés, une formation des professionnels, et surtout, une vision politique qui reconnaisse les bénéficiaires non comme de simples "récepteurs" de l’action sociale, mais comme des acteurs à part entière de leur trajectoire d’insertion.
À l’heure où les politiques sociales valorisent l’empowerment, il est indispensable de s’interroger sur les conditions réelles de mise en œuvre d’une participation authentique, inclusive et émancipatrice.
Auteurs : La Paglia V. Et le groupe de travail particip’ISP (Sterkendries S., Rorive J., Anzalone C., Blidi N., Brundseaux M-F., Gillot G., Jacquet M., Jacques L., Rorive B., Rorive J., Rossius F., Sprumont T.
& Thimister S.)
Hébergé par le blog SocioLinspire, fondé par Shannon Zeitoun.
Crédit photographie : carenews.com
Bibliographie :
· Berger, M., & Charles, J. (2014). Persona non grata. Au seuil de la participation. Participations, 9(2), 5-36. https://doi.org/10.3917/parti.009.0005
· Charles, J. (2016). La participation en actes : Entreprise, ville, association (Coll. « Solidarité et société »). Paris : Desclée de Brouwer.
· Goffman, E. (1974). Les rites de l’interaction. Paris : Éditions de Minuit.
· Muchielli, R., & Paillé, P. (2021). L’analyse qualitative en sciences humaines et sociales. Paris : Armand Colin.
· La Paglia, V. (2024). Plaisir et sécurité : les clés de la participation du public. Éducation Santé, 410.
· La Paglia, V. (2024). L’humour dans les activités collectives déployées par les services de 1ère ligne d’aide et de soin en Belgique francophone : entre moteur et frein de la participation du public. Actes de colloque : 8ème journée de la recherche en haute école. pp. 33-47.
· Parlement wallon. (2016, 7 novembre). Décret relatif à l'agrément des initiatives d'économie sociale et à l'agrément et au subventionnement des entreprises d'insertion. Moniteur belge. https://etaamb.openjustice.be/fr/2016205562.htm
· Saldaña, J. (2016). The coding manual for qualitative researchers (3e éd.). Londres : SAGE Publications.
· Université de Liège – LUCK. (n.d.). https://luck.synhera.be/handle/123456789/2997

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