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Le phénoménalisme problématique de Pierre Duhem
Résumé
Physicien théoricien, philosophe de la physique et historien des théories physiques, le savant catholique français Pierre Duhem (1861-1916) a profondément marqué la pensée du vingtième siècle. Chacun connaît le «Système du monde», dont les dix volumes ont contribué à la redécouverte de la science médiévale, et «La théorie physique», qui a notamment donné lieu à la célèbre «thèse Duhem-Quine». Si Clio a donc gardé de Du-hem le souvenir d’un grand historien des sciences et d’un philosophe perspicace de la physique, lui-même cependant n’aspirait qu’à être reconnu comme physicien. Son œuvre est en effet traversée par un projet scientifique qui consiste à ordonner et à réu-nir les diverses branches de la physique sous l’égide de la thermodynamique dans le cadre d’une théorie représentative et non explicative du réel. C’est ce projet que Duhem a voulu réaliser dans ses publications scientifiques, exposer dans ses écrits philosophiques, et finalement cautionner par ses recherches historiques.
Cependant l’investissement toujours plus important de Duhem en histoire des sciences et la présence dans son œuvre de considérations apologétiques et d’écrits patriotiques peuvent donner à penser qu’il s’est progressivement détourné de ce projet primordial au profit d’autres préoccupations. De même, les tensions qui, à l’intérieur de ce projet scientifique, subsistent entre sa volonté unificatrice et sa revendication phénoménaliste peuvent conduire à une relativisation de cette dernière, conçue comme une de-mande contextuelle, passagère et finalement peu significative. Sans ignorer ces préoccupations historiques, religieuses ou patriotiques, sans négliger ce conflit d’intérêt entre les deux parties constitutives du projet duhémien, cette étude entend tout d’abord réaffirmer que ce projet scientifique ne sera jamais ni abandonné, ni amputé.
Toutefois, dès lors que sont maintenues la permanence, la priorité et l’intégralité de ce projet, trois paradoxes surgissent immédiatement. Si Duhem se voulait avant tout physicien et souhaitait être reconnu comme tel, par quelle extravagance de l’histoire est-il finalement connu pour ses recherches historiques et ses travaux philosophiques et non pour ce qui lui tenait le plus à cœur ? S’il ne voulait être qu’un illustre physicien, pour-quoi s’est-il acharné, au retour du laboratoire, à exhumer de l’oubli les manuscrits et les théories scientifiques des auteurs médiévaux ? Enfin, s’il voulait vraiment établir une physique qui soit unifiée, cohérente et parfaite, pourquoi se prive-t-il du réalisme et s’embarrasse-t-il du phénoménalisme ? Basée sur la correspondance inédite de Duhem, cette étude, centrée plus particulièrement sur ce troisième paradoxe, contribue finalement à élucider chacun d’eux.