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«Comme la chair rôtie à la broche…» : heurs et malheurs d’un célèbre argument de convenance en faveur du mouvement de rotation de la Terre et posant la question de la finalité du monde (XIVe-XIXe siècles)
Résumé
Attestée à partir du XIVe siècle, l’analogie de la chair rôtie à la broche soutient que vouloir faire tourner le Soleil autour d’une Terre rigoureusement immobile serait aussi ridicule que prétendre faire tourner le feu à l’entour de la viande à rôtir, car c’est au con-traire à la Terre qu’il convient de tourner sur elle-même pour profiter, en tout point de sa surface, des bienfaits du Soleil, tout comme c’est à la viande qu’il incombe de tourner à la broche devant un feu immobile pour être parfaitement cuite de tous les côtés. Destinée, dans le géocentrisme, à souligner la plausibilité logique de la rotation de la Terre et, dans l’héliocentrisme, à soutenir la réalité physique de cette même rotation terrestre, cette analogie ne suscite plus guère, aujourd’hui, qu’un sourire amusé, voire con-descendant. Pourtant, sa persistance sur la longue durée et sa fréquence d’utilisation — du XIVe au XIXe siècle, nous avons retrouvé sa mention chez pas moins de 45 auteurs différents — nous incitent à, enfin, lui prêter attention. On s’aperçoit alors qu’outre sa portée explicitement cosmologique, elle pose, à sa manière, la question de la finalité du monde naturel : si celui-ci a été conçu en fonction de l’homme, il est normal, en dépit de ce que recommande cette analogie, que le Soleil se mette au service de plus important que lui en tournant, au profit des hommes, autour de la Terre ; dans le cas con-traire, comme une telle entorse à la règle de bon sens illustrée par cette analogie ne peut plus être ni justifiée ni tolérée, il revient à la Terre de se mouvoir autour du Soleil. Retracer, six siècles durant, les péripéties de cette analogie, ce n’est donc pas seulement reconstituer l’histoire, largement oubliée, d’une analogie désormais désuète, mais c’est également retrouver le sens profond, dorénavant incompréhensible, qui fût le sien. En décrivant comment ce sens s’est progressivement perdu, c’est enfin donner à com-prendre pourquoi, aujourd’hui, nous ne sommes plus capables que d’un sourire amusé lorsque, au détour d’un texte, nous la rencontrons !