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«Qui choisirait de poser ce flambeau dans un lieu autre ou meilleur que celui d’où il peut illuminer le tout simultanément ?» : examen de la pertinence d’un argument copernicien de convenance
Résumé
Dans ce qui est sans doute le passage le plus célèbre du «De revolutionibus», Copernic laisse entendre qu’il ne se trouvera personne pour positionner ce flambeau par excellence qu’est le Soleil dans un autre ou meilleur endroit que celui à partir duquel il peut illuminer le tout simultanément, à savoir le centre de ce temple suprêmement beau qu’est le monde. S’il laisse une tournure interrogative à cet argument de convenance et s’il l’énonce sans justification aucune tant il lui paraît relever de l’évidence, certains Coperniciens l’illustreront par une analogie : si, effectivement, telle doit être la position du Soleil, c’est parce qu’il convient de placer au centre de la pièce, et non dans un de ses coins, le flambeau destiné à l’éclairer. En dépit de l’héliosophie de la Renaissance partagée aussi bien par des géocentristes que par des Coperniciens, cet argument du flambeau ne semble pas avoir connu un grand succès : peu repris par le camp des Coperniciens, il sera même contesté par certains d’entre eux ; quant aux géocentristes, il n’exercera aucun attrait sur eux. Cet argument de convenance n’aurait-il donc pas joui de cette évidence que lui attribuait Copernic et que, dans son sillage, bien des commentateurs continuent à lui octroyer ? Comme c’est souvent le cas dans l’histoire de la pensée, la pseudo-évidence de cet argument n’est que le fruit d’un anachronisme coupable : présenter l’héliocentrisme comme le système cosmologique qui vient enfin accorder au Soleil une centralité digne de lui en le plaçant au centre de la pièce et non dans un coin, c’est ignorer que l’astre du jour jouissait déjà, dans le géocentrisme, d’une centralité jugée en parfaite adéquation tant avec sa dignité qu’avec la fonction illuminative qui est la sienne. Ayant perdu la connaissance de cette vision du monde qui n’est plus la leur, les Coperniciens ont donc produit un argument qui, pour les géocentristes, est sans va-leur. Pourtant, ils auraient pu faire valoir la supériorité objective de leur centralité par rapport à celle qu’accorde au Soleil le géocentrisme : alors que la seconde n’est que numérique, d’ampleur seulement planétaire, et pour tout dire fictive, la première est véritablement spatiale, d’envergure cosmique et, du moins en première approximation, bien réelle. Pour produire des arguments de convenance qui portent, les protagonistes de la nouvelle cosmologie auraient donc eu intérêt à mieux connaitre la vision du monde de leurs adversaires au lieu de s’adresser à eux en réfléchissant à partir de la leur ; pour ne pas prendre pour une évidence indiscutable ce qui n’est évident que pour un des deux camps en présence, les historiens de la pensée scientifique feraient bien, eux aussi, de mieux connaître la vision du monde de ceux que l’histoire considère désormais comme les vaincus !